1. Procédure pénale et procédure civile.
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La procédure, au sens général du mot, n’a pas bonne presse. Le temps est passé des procès campagnards où un mur mitoyen pouvait absorber, pour plusieurs générations, une énergie qui trouve aujourd’hui d’autres emplois (la pratique des sports nuit aux servitudes de passage). Contentieux n’est pas mort, certes : aidé par la multiplication des lois obscures, il renaîtrait, si besoin était, de ses cendres. Mais, aux yeux du citoyen ordinaire, le procès apparaît de plus en plus rarement comme un objet de convoitise ; il engendre de nombreux soucis, des rapports indécis mais coûteux avec les gens de loi, pour s’achever en une solution parfois décevante, qui ne satisfait presque jamais complètement le gagnant lui-même, et dans laquelle le litige, lumineux à l’origine ( “ J’ai raison, il a tort ” ), s’est obscurci dans un dossier copieux, riche en termes mystérieux (alors que l’homme de loi a, au contraire, le sentiment de clarifier le problème, tel le lécheur d’ours dont parle Rabelais) : bref, la procédure suscite aujourd’hui plus de crainte que d’espoir.
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Le juriste lui-même se laisse aller à dire, protecteur, voire dédaigneux, qu’ “ il ne s’agit pas d’une question de procédure ” – oubliant que ce qu’il tient pour problème de fond passe souvent, aux yeux du vulgaire, pour pure chicane formelle... Et peut-être a-t-il partiellement raison pourtant, s’agissant de la procédure qui permet d’aboutir à la solution judiciaire d’un litige civil ou commercial (encore qu’un bon système de “ procédure civile ” ou “ droit judiciaire privé ” soit rigoureusement indispensable au respect des droits, et que la procédure civile puisse être envisagée sous l’aspect le plus hautement philosophique) : entre la formidable masse des règles de droit civil (divorce, filiation, propriété, responsabilité civile, vente, bail, succession, régimes matrimoniaux...) et le mécanisme procédural, existe une frontière assez nette ; l’immense majorité des contrats (vente, bail, assurance, par exemple) se conclut, s’exécute, s’éteint, sans intervention du juge – est-il nécessaire d’ajouter : fort heureusement ! En d’autres termes, un problème de droit civil peut se poser et être résolu presque de lui-même, sans qu’il soit fait appel à l’autorité judiciaire – sans autre forme de procès.
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La procédure pénale, au contraire, se présente à nous comme une partie intégrante du problème pénal : dès lors, en effet, que jaillit l’une des questions évoquées en droit pénal, c’est, dans l’immense majorité des cas, à travers un procès pénal. De quoi s’agit-il en effet ici ? De rechercher les auteurs d’infractions et de les juger : la procédure pénale est donc la mise en œuvre concrète du droit pénal – ou, si l’on préfère, le droit pénal en action. L’infraction va permettre de déclencher le procès, et la peine, si peine il y a, ne peut normalement intervenir que sur le fondement d’une décision judiciaire : la procédure pénale est donc, en quelque sorte, la transition entre l’infraction commise et la sanction prononcée.
5. Contenu et esprit de la procédure pénale : rigueur ou libéralisme.
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Sans doute le public s’intéresse-t-il surtout aux recherches policières (relatées par la presse ou imaginées par les romanciers) et aux débats d’assises : mystère et éloquence ont beaucoup d’attraits. Mais la procédure pénale comporte de nombreux autres problèmes et constitue en cela une discipline fort attachante, débouchant sur une infinie variété de questions : il y a loin (apparemment) du calcul d’un délai de prescription à la notion d’erreur judiciaire, en passant par la recherche d’empreintes génétiques...
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La procédure pénale détermine, en effet, l’organisation et le rôle des autorités chargées de la répression, et les règles concernant le déroulement des poursuites pénales (c’est la justice pénale, au sens strict : largement entendue, la justice pénale comprendrait aussi le problème des peines – science pénitentiaire, avec les juridictions de l’application des peines). Mais ce qui précède fait pressentir l’énorme difficulté de la matière. On s’indignera d’apprendre qu’un dangereux criminel a pu échapper à la police parce que celle-ci ne peut exécuter un mandat d’arrêt la nuit dans un domicile privé. Mais l’on supportera mal, innocent, d’être gardé à vue même pendant vingt-quatre heures seulement... Il faudrait pouvoir distinguer l’innocent du coupable – et c’est précisément ce à quoi entend aboutir la procédure pénale !
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Idéalement, qu’est-ce qu’une procédure pénale parfaite ? Celle qui punit tous les coupables, et qui ne punit qu’eux : on l’a vu plus haut, il s’agit tout à la fois d’intimider et de protéger. Punir tous les coupables ? Ce serait presque trop, peut-être, tant il y en a... Admettons pourtant qu’un tel objectif mérite d’être atteint : nous adopterons alors une procédure pénale répressive, faite d’un filet aux mailles serrées, d’où aucun coupable ne pourra s’échapper. Pour plus de sûreté (publique), on n’admettra l’intervention de l’avocat qu’à un stade avancé de la procédure, on prolongera les détentions provisoires... Mais dans ce filet aux mailles étroites, nous risquerons alors d’enfermer des innocents. Élargissons les mailles, pour être sûr – c’est l’autre idéal – de ne pas atteindre d’innocents : les coupables habiles sauront profiter des failles ainsi créées. On peut préférer ce système – ou opter pour le précédent : l’important est de comprendre combien il est malaisé de concilier des données à ce point contradictoires. C’est ce que révèle l’histoire de la procédure pénale, qui est une oscillation constante entre ces deux ordres de préoccupations.
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Le Code de procédure pénale (1958), sous une forme beaucoup plus cohérente et plus claire que celle de l’ancien Code d’instruction criminelle, s’est efforcé, quant au fond, de concilier le respect de la liberté individuelle et les nécessités de la répression. Puis des événements ont entraîné certaines modifications qui évoquent un mouvement de flux et de reflux, déjà rencontré dans l’histoire, et qui n’est pas particulier à la France (ex. en droit anglais : les Acts de 1984, 1985, 2001, 2005 renforçant les pouvoirs de la police, notamment en matière de terrorisme ; la création, en 1985, du Crown Prosecution Service) : il est difficile de protéger les droits de la défense sans risquer de favoriser les manœuvres dilatoires, sources de lenteurs dans le déroulement de la procédure (v. la loi du 9 mars 2004 renforçant les règles en matière de criminalité et délinquance organisées, les deux lois du 5 mars 2007 ; cf. la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui s’impose au législateur et au juge français – art. 5 et 6 – et dont le respect est contrôlé par la Cour européenne des droits de l’homme).
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Société et individu : “ Nos deux trésors, dit Alain ; et nous devons courir au secours de l’un et de l’autre, selon le cours des événements. ” Quand la Justice de l’État faiblit trop, la justice privée risque de se réveiller. Peut-être, en définitive, quels que soient le temps et le lieu, n’est-il pas de système parfait de procédure pénale – le problème reposant, nous l’avons dit, sur des impératifs contradictoires. En ce domaine, et de manière aiguë, le plus important demeure l’homme – le juge et le policier. Si l’on est pénétré de cette idée dans l’élaboration des rouages de la procédure pénale, le fonctionnement même du mécanisme procédural en sera merveilleusement amélioré.
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